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La pensée du soir
19 juin 2017

L’occident et la confiance

Quelle que soit la position du géographe par rapport à la ligne scientifique suivie par Paul Claval pendant sa longue carrière, on est toujours impatient de lire son dernier livre (Claval 2012) (Claval 2015). En effet, l’homme a toujours impressionné ses pairs par sa capacité de lecture et de réflexion et, depuis qu’il a fait valoir ses droits à la retraite, son volume de travail semble avoir encore augmenté. La bibliographie proposée confirme qu’il a eu recours à la cinquantaine d’ouvrages qu’il faut impérativement avoir lus pour mieux comprendre le monde, de Foucault à Gauchet, de Braudel à Lyotard, de Hegel à Habermas ou de Walderstein à Sassen. Et, s’il manque Beck, Huntington et deux ou trois autres, c’est probablement parce qu’ils n’auraient rien apporté de plus à son développement. En outre, dans sa production éditoriale des dernières années, il polarise son attention sur des sujets qui apparaissent de plus en plus comme centraux, sur lesquels il se distingue par une approche de bon sens, dont on s’étonne que nul n’y ait pensé plus tôt. Dans le sous-titre, il y a deux termes sur lesquels on a hâte de découvrir l’état des lieux de la pensée de Paul Claval : la modernité, et la globalisation. La quatrième de couverture présente l’ouvrage comme un nouvel essai de « géohistoire », 20 ans après les premières ébauches de Christian Grataloup (1996). C’est d’ailleurs dans sa conclusion qu’il précise ce qu’il entend par géohistoire : une méthode qui « met en rapport les actions collectives et l’espace où elles sont conçues et menées à bien » (p. 152). On a donc enfin tourné la page de l’anathème de Lucien Fèbvre : la géographie c’est le sol et non l’État. Et Paul Claval ajoute qu’il a également associé à son travail de recension et de réflexion la science des religions, l’économie, la science politique et toutes les sciences de l’homme et de la société (p. 151). Confortablement outillé, l’auteur s’attaque donc – une nouvelle fois – à sa relecture de l’histoire du monde, en confrontant les deux concepts dont il estime que le poids relatif s’est progressivement inversé avec le temps. La modernité d’abord, dont on peut capter ici ou là des éléments de définition souvent épars, comme si Paul Claval avait surestimé son lecteur en considérant qu’il les connaissait déjà : « Avant de devenir une période historique, la modernité est un programme, un projet de transformation du monde, une forme d’utopie progressivement mise en œuvre » (p. 15). Il cite plusieurs auteurs qui ont tenté de donner corps à cette tendance (Descartes, Bacon, Hobbes, Coménius, More). Plus loin, il rappelle que « l’utopie moderniste » de l’État-nation a recouvert le monde. Mais il souligne aussi les faiblesses de cette utopie moderniste : « Elle se refuse par principe à prendre en charge une partie de ce que comportaient les cultures traditionnelles : les formes de sociabilité et de civilité élémentaires, l’essentiel des techniques de la vie quotidienne, les croyances religieuses » (p. 44). La modernité serait donc cette idée, qui a forcément évolué avec le temps : « L’utopie moderniste a ainsi changé de sens : elle ne nous mène plus vers une société de travailleurs sagement organisés ; elle institue un paradis permanent sur terre » (p. 140). Il écrit : « Que signifient ces transformations ? Que l’existence ne tire plus son sens du travail, du dévouement à autrui ou d’une action motivée par la croyance en Dieu ou l’espérance en des lendemains qui chantent ! Rendre permanente la présence de la fête, c’est souligner que c’est elle qui donne désormais son sel à la vie ». Le monde serait-il en train d’achever sa sécularisation ? Modernité et globalisation ont au moins un point commun : la quête de l’universalité. « Le rêve d’une société universelle n’a cependant pas disparu. Il persiste dans les deux idéologies du progrès qui se structurent parallèlement à celle du libéralisme : celle du socialisme qui, sans renoncer dans une première phase à s’appuyer sur l’État, retrouve l’universalité à travers l’analyse des classes sociales et du rôle qu’y joue le prolétariat ; celle de l’anarchisme, qui reste plus proche du cosmopolitisme des Lumières et refuse la centralisation du pouvoir » (p. 35). Mais, curieusement, l’auteur passe presque sous silence la troisième « idéologie », celle de la globalisation qui vise à universaliser les goûts, les besoins, les envies… De nombreuses pages sont consacrées au rôle des religions dans l’évolution de cette utopie moderniste, puisque – si l’on comprend bien l’argumentation de Paul Claval – c’est l’effacement de celles-là qui a favorisé celle-ci : « Au départ (avant le Léviathan de Hobbes), la souveraineté y émane d’un monarque dont le pouvoir est absolu parce que de droit divin » (p. 16). On regrette que l’auteur n’ait pas croisé son point de vue avec celui exprimé par Francis Fukuyama, non pas dans La Fin de l’Histoire (1992) mais dans son ouvrage suivant, Le Début de l’Histoire (2012) où il rappelle que, à l’exception de la Chine, l’autorité de la loi dans l’histoire du monde n’a jamais pu être imposée sans l’appui d’une religion.

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